Un poison à retardement (avec Il Padrino et Jägerin)

par **Le Lièvre** Sam 12 Nov - 16:58

Le temps était maussade, particulièrement frais et humide, même pour une journée d'automne. Assis sur un banc dans un parc public quelconque de Paris, Le Lièvre lançait de temps à autre des morceaux de pain rassis aux innombrables volatiles qui sautillaient à ses pieds. Engoncé dans son habituel imperméable noir, sous son chapeau de feutre mou à larges bords, il attendait le signal pour partir. Cela faisait plusieurs heures qu'il patientait ici et il commençait à trouver le temps long. Il avait besoin d'argent et ce contrat était une opportunité inestimable, qui ne se représenterait jamais. Les instructions étaient simples et le travail bien payé, mais il aurait aimé en apprendre davantage sur son employeur. "Occupez-les", lui avait-il dit. En effet, il était grossièrement observé par un groupe de femmes âgées aux épaules singulièrement larges qui avaient quelque chose d'effrayant. Il ne faisait aucun doute que derrière leurs lunettes noires se cachait un cerveau froid et discipliné. Une fois sa mission terminée, il se jura de ne jamais remettre les pieds dans ce parc.

À quelques rues de là, dans une salle close plongée dans l'obscurité, le véritable Lièvre fit sauter la grille de la bouche d'aération dans laquelle il rampait depuis plus d'une heure. C'était classique mais éternellement excitant. Il avait développé dans les dernières années un goût particulier pour les coins noirs et resserrés, sans réussir à s'expliquer pourquoi. Il attendit que le dernier écho métallique provoqué par la chute de la grille se soit évanoui avant de se laisser choir souplement sur le sol. Ces conduits d'aération avaient été pensés pour permettre aux Soeurs de s'évader discrètement en cas d'invasion du bâtiment, et ils étaient la plupart du temps gardés par une brochette de grand-mères qui ne trompaient personne avec leurs jupes fleuries et leurs bas de contention. Seulement, ce jour-là, elles étaient ailleurs et n'avaient aucune raison de s'inquiéter. Après tout, il n'était pas ici.
Un pas régulier et délicieusement féminin retentit dans le couloir. Le Lièvre se précipita vers l'imposante armoire métallique située dans l'angle de la pièce et composa un code à dix-huit chiffres. Il le connaissait par coeur, puisqu'il avait livré lui-même le système de sécurité. Il n'arrivait toujours pas à réaliser à quel point il avait été facile - un peu de maquillage, une paire de lunettes et une perruque noire - de tromper les agents. Alors qu'il plongeait la main au fond de l'armoire en découvrant sans surprise qu'elle était vide, la porte s'ouvrit lentement et un faisceau de lumière éclaira violemment son visage. Aveuglé, il parvint vaguement à distinguer le contour harmonieux d'une paire de hanches et les cheveux splendidement déroulés de son interlocutrice.

par **Jägerin** Sam 12 Nov - 17:51

Jägerin faisait un tour dans les locaux de la KBSCC. Il était toujours prudent de vérifier que tout allait bien. Soudain un bruit métallique. Elle s'arrêta en plein milieu du couloir et se dirige vers la porte à sa gauche. Son ouï ne la trompait jamais. Il y avait là-dedans quelqu'un ou quelque chose qui n'avait rien à faire ici. Elle posa la main sur sa ceinture où étaient alignés ses couteaux par ordre de taille, chacun glissé dans un fourreau de cuir, et poussa la porte. Un trait de lumière s'étira, éclairant un profil inattendu. Le Lièvre. Elle dégaina un couteau à double tranchant en dessinant un grand sourire sur ses lèvres rouges et dit, ses accent butant sur les "t" et roulant sur les "r":
"On dirait que le lapin s'est pris la patte dans un collet..."
Elle s'approcha rapidement de lui sans lui laisser le temps de réagir en appuyant la lame sur son tendre cou, et murmura:
"Tu as encore décidé de travailler contre la KBSCC mein Kaninchen? Heureusement que Jägerin est là pour t'attraper..."
Elle se mit à rire doucement, satisfaite d'avoir évité un vol, ou même pire. Padrino allait être contente d'elle.
Elle passa derrière lui, toujours le couteau en travers de sa gorge (même si la taille du Lièvre l'obligeait à lever son bras étrangement haut), et le poussa devant elle en glissant sa main dans son dos.
"Allons faire un tour chez mon employeuse meine Liebe."

par **Il Padrino** Dim 13 Nov - 22:35

Sa silhouette noire se détachait du maussade fond gris. Ses pas, à la fois fermes et sans but, résonnaient clairement sur le sol aseptisé. Padrino s'était échappée de l'atmosphère étouffante qu'était celle de son bureau, avec ses lumières tamisées et ses meubles toujours à la même place. Un début de migraine lui perçait le front.
Ainsi elle errait, seule, dans le vain espoir de s'aérer l'esprit.
Elle avait d'abord arpenté le tout dernier sous sol du bâtiment, une sorte d'immense remise qui ne contenait qu'une multitude d'objets datant de Claire; puis avait remonté chaque étage, comme une ombre. C'est ainsi que, prenant dans l'ascenseur une dernière fois pour accéder au dernier étage, elle avait réussi à ne croiser personne, mais nul doute que si cela avait été le cas, ils se seraient vite éclipsés en voyant le visage d'Il Padrino.

Aussi, lorsque la jeune femme entendit d'autres pas se joindre aux siens, fut-elle un court instant surprise. Qui était-ce? Une des sœurs revenue plus tôt? Un intrus? Elle tendit l'oreille pour localiser le bruit. Mais, avant qu'elle ne puisse se mettre à la recherche de quoique ce soit, une voix traînante qu'elle connaissait bien retentit:
"Regardez donc ce que votre Chasseuse a attrapé!"
Juste devant ses yeux, au bout du couloir rouge, Jägerin venait d'apparaître avec le Lièvre, totalement immobilisé par la poigne de l'allemande.
L'italienne, trop surprise pour réagir, n'accorda pas un regard au Lièvre. Elle fixait Jägerin à travers le verre fumé de ses lunettes. Puis lâcha un laconique:
"Dans mon bureau."
Et elle tourna les talons, sans rien ajouter de plus.

Moins de dix minutes plus tard, Padrino fouillait énergiquement dans les tiroirs de son bureau, à la recherche de menottes. Qu'elle avait par ailleurs pris la précaution depuis l'incident "Mickaël", se rappela-t-elle soudain. Fort utile.
"Bon. Une explication, Jägerin mia?" demanda-t-elle tout en attachant le Lièvre à une chaise.

par **Le Lièvre** Ven 18 Nov - 22:49

Alors qu'il subissait un ligotage express particulièrement solide, le Lièvre examina rapidement les options qui se présentaient à lui. À ce stade-là, il avait encore une large palette de choix. Il se laissa docilement ficeler et attendit quelques instants avant d'agir. Et puis il se rappela, bêtement, mais douloureusement, qui était en face de lui. Elle avait beaucoup changé, quelques ridules à peine visibles au coin des yeux, une aura de femme mure, quelque chose de plus venimeux aussi. Cela faisait près de dix ans qu'il ne l'avait pas vue. Bien sûr, elle était renseignée sur lui, et il était renseigné sur elle. Seulement, elle était loin de s'imaginer à quel point le lapin pris au collet était déterminé à la tuer. Il fallait faire ça correctement, délicatement, avec élégance et froideur, comme à son habitude. La situation était étrange ; elle était là, à quelques mètres de lui, elle avait vu son visage sur de nombreux dossiers, elle avait été avertie de ses habitudes, de sa psychologie, elle avait littéralement été formée pour le neutraliser, et pourtant c'était bel et bien lui qui avait l'avantage. Un avantage dont le prix était exorbitant, mais qui lui permettait d'observer à loisir la chasseuse sans éveiller chez elle le moindre soupçon. Oui, elle avait changé. Son sourire écarlate paré d'un piercing discret, ses yeux à la profondeur effrayante, les boucles noires, voluptueuses de ses cheveux, tout avait revêtu un aspect fatal, comme si la mort était étroitement associée à cet objet de désir. Il savait que d'autres hommes s'étaient jetés à ses pieds, lui le premier. Il ne commettrait pas une nouvelle fois cette erreur. Il fallait qu'elle soit à lui, toute entière, elle se coulerait dans ses bras, il la serrerait dans une ultime étreinte et, lorsqu'elle dormirait de son adorable sommeil d'enfant...

- Votre "Jägerin" n'a certainement pas besoin d'écouter ce que j'ai à vous dire. Puisque je suis ici, autant vous faire mon rapport.

Le Lièvre étendit les jambes et songea une fois de plus au pouvoir de l'argent. Quelle incroyable, quelle inépuisable ressource, clef de toutes les portes, de tous les coffres ! Dans quelques instants, la lumière s'éteindrait. L'obscurité enveloppait tout, dissimulait tout, et se faisait complice des ruses les plus audacieuses. Débarrassé de l'éclairage faiblard de ce bureau aseptisé, il leur ferait comprendre pourquoi, depuis quelques années déjà, on l'appelait le Lièvre.

par **Jägerin** Lun 21 Nov - 21:52

Jägerin s'était figée dès que le Lièvre avait ouvert la bouche. Et voilà qu'il étirait les jambes comme si de rien n'était. Quel aplomb... Ses yeux perçants fixaient Padrino tout en lui lançant de brèves coups d'oeil quand il pensait qu'elle ne le regardait pas. Ses cheveux étaient un peu ébourrifés, mais il paraissait si parfaitement contrôler la situation que ça en devenait insupportable.... Que mijotait-il?
Au moment où elle rengainait ses couteaux en voulant apostropher son captif et que Padrino avançait la main vers son téléphone de bureau, sûrement pour prévenir les autres mafieuses, la lumière s'éteignit brusquement avec un claquement sinistre. L'allemande poussa un cri de surprise lorsque, dans le noir complet, elle sentit deux mains la saisir par les épaules, la faire tournoyer sur elle-même pour lui faire perdre ses repères, et l'assoir sur une chaise en lui passant les menottes. La lumière se ralluma aussitôt. Padrino eu une petite surprise en découvrant sa Chasseuse attachée sur la chaise à la place du Lièvre en une poignée de secondes, et ce dernier, un pistolet pointé droit sur elle. Comment avait-il fait pour se libérer aussi vite sans se prendre un coup de couteau au passage?! Jägerin émit un grondement furieux et se débattit férocement en se voyant maîtrisée, mais son employeuse la fit s'immobiliser et se taire d'un seul regard jeté par dessus sur lunettes sombres. Le Lièvre qui arborait un air ravi, se pencha pour mettre une pichnette sur le nez de Jägerin (qui tenta de le mordre sauvagement), et lança, comme si de rien n'était:
-Ainsi nous allons pouvoir mieux discuter!

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