La hackeuse et la meurtrière (rencontre Steamgirl & Jägerin) [passé]

Steamgirl arpentait de long en large le couloir d'apparence chaleureuse. Elle y était. Elle était dans la KBSCC. Genre, physiquement. C'était la première fois depuis longtemps qu'elle était dans un endroit autre que sa maison. Elle avait oublié cette sensation -celle de l'inconnu. Et ça la mettait mal à l'aise.
Elle avait été acceptée dans la mafia, et, après l'épreuve du regard d'Il Padrino, elle allait affronter Jägerin. La tueuse. La redoutable. L'efficace.
Elle se rendit compte que ses ongles étaient trop rongés pour qu'elle puisse continuer, et s'attaqua donc à la peau autour. Elle détestait montrer sa nervosité, et ne voulait pas paraître faible devant l'allemande. Mais c'était plus fort qu'elle. En plus de la réputation sinistre de celle qu'elle allait rencontrer, elle craignait que son empathie la rattrape à nouveau. Ce n'était pas pour rien qu'elle avait évité un maximum le contact humain pendant des années. Et là, après un passage à la gare, un voyage en train, un autre passage à une nouvelle gare, puis la traversée des rues de Paris et enfin l'entrevue avec la patronne italienne, ça faisait trop d'inconnus dans ses environs dans un laps de temps réduit. Et ce n'était pas fini.
Elle était épuisée. Et ça la rendait nerveuse. Et sa nervosité l'épuisait. Quand allait-elle arriver ? A tout moment.

Jägerin montait les marches de l'escalier lentement. Elle ne voulait pas paraître essoufflée devant la hackeuse. Elle lui était supérieure, elle était dans la KBSCc depuis un bout de temps maintenant.

Elle était là. Dans le couloir du 3ème étage. Silencieuse. Pas un bruit de pas, ni une parole.
Jägerin prit une profonde inspiration puis s'avança à la lumière dans le couloir.  L'allemande avait prit soin de mettre une épaisse ceinture noire qui laissait entrevoir à chaque balancement de hanche les gaines de ses couteaux. Elle avait aussi une jupe longue et fendue, et dans la fente du tissu on devinait le tatouage du serpent qui rampait de sa cuisse à sa taille.
Ses lèvres rouge esquissèrent un sourire carnassier devant la jeune fille (environ 1m63) qui serrait les cordons de son sweat en la voyant s'approcher de plus en plus près.
Lorsqu'elle ne fut plus qu'à une vingtaine de centimètres de l'anglaise, Jägerin avança sa main aux ongles vernis et demanda:
- C'est donc toi, la hackeuse Steamgirl?

La jeune fille prit la main qui lui était tendue et la serra brièvement, avant de fourrer la sienne dans sa poche.
- C'est moi. Celle qui s'est introduite dans vos données, fit-elle d'une voix sarcastique pour masquer sa nervosité.
Après tout, l'autre faisait tout son possible pour l'impressionner, et, même si c'était relativement efficace, la britannique était déterminée à ne pas se laisser faire. Après tout, elle ne risquait rien. Elle avait des alliés, et, si l'allemande faisait quoi que ce soit, elle en sentirait les répercussions.
- Jägerin, c'est ça ? continua-t-elle en reniflant. Passé plutôt sombre, huh ?
Autant attaquer directement, pensa-t-elle en retenant ses tremblements.

"Passé plutôt sombre"... cette petite était drôle. Nerveuse mais drôle. En lui serrant la main Jägerin avait noté distraitement l'état des ongles de l'anglaise. Elle devrait souffrir d'anxiété ou d'une autre pathologie de ce genre.
- Ha! Je vois que tu es renseignée! C'est la Sombra qui a cafté?
Jägerin se laissa quelques secondes pour ricaner et observer la réaction de Steamgirl. Si elle continuait à lui envoyer des piques ça se finirait en bain de sang. Elle mit donc ostensiblement la main sur le manche d'un de ses couteaux, et se pencha sur elle.
- J'ai en tout cas un passé bien plus sombre que le tien meine Kleine...
Puis elle se redressa brusquement, éclata de rire et lui tapota l'épaule.
Rien de tel qu'un peu de lunatisme pour égarer les gens comme ça.

- Quoi ? Tu n'as pas confiance en votre archiviste ? J'ai appris ça par mes propres moyens, sweetheart, répondit-elle du tac-au-tac, son sourire s'affirmant petit à petit sur son visage.
La tueuse variait ses techniques pour la faire flancher, mais, malgré son lunatisme feint, Steamgirl sentait très bien que son humeur ne changeait qu'à peine.
Le pire, c'était qu'elle ne la testait même pas. Elle n'attendait rien d'elle.
Je vais lui montrer, moi, qui je suis.
- C'est amusant que tu parles de mon passé, enchaîna-t-elle, parce que tu n'en sais rien. Et tu auras beau fouiller où tu voudras, tu n'apprendras pas la moitié de mon histoire.
Evidemment, l'allemande avait raison. Même si elle n'avait pas eu une vie des plus roses, ce n'était pas grand-chose à côté de celle de Jägerin -mais elle ne voulait pas que celle-ci pense pouvoir l'égarer aussi facilement.

La hackeuse reprenait son assurance. L'avait-elle percée à jour? Peu importe. Elle décida de lui montrer son désintérêt.
- Je veux bien croire que tes secrets sont bien gardés. Mais qui a dit que j'allais chercher à les découvrir? Le boulot d'enquête, c'est La Sombra. Je n'ai pas vraiment de temps à perdre. D'ailleurs, ajoute-t-elle dans un soupir, j'ai une cible à faire disparaître dans 3h.
Si la première remarque de Jagerin avait agacée Steamgirl, elle ne le montra pas. Son visage n'était pas très expressif. Ses sourcils s'étaient simplement haussés lorsqu'elle avait prononcé "cible à disparaître".
Hinhin, qui sait ce qui se tramait sous le plastique bleu de son casque audio...

Steamgirl faisait de son mieux pour ne pas montrer ses émotions, et pensait être plutôt efficace.
Elle tiqua à peine lors de la mention d'une "cible".
Trois heures, c'était court. Pourquoi l'assassin perdait son temps avec elle, si elle lui accordait si peu d'importance ?
Elle faillit esquisser un sourire. Elle fait semblant. Et elle pense pouvoir m'avoir. Ridicule présomption allemande.
- En tous cas, j'espère qu'on apprendra à mieux se connaître, conclu-t-elle en se permettant un clin d'oeil à l'adresse de la tueuse.

Quelle insolence! La Chasseuse dût se retenir de lui lancer un couteau dans le dos. Elle la regarda disparaître au bout du couloir, petite silhouette dissimulée sous son sweat. Elle se calma vite, et tourna elle-même les talons. Mais elle ouvrit la fenetre et se laissa tomber par celle-ci. Elle avait du travail.

Steamgirl laissa échapper un sifflement admiratif en voyant la sortie de Jägerin. Elle devait admettre qu'elle avait la classe. Après tout, elle n'était pas dans n'importe quelle mafia...
La seule digne de mon temps, songea-t-elle en sortant un biscuit de sa poche.
Le stress lui avait creusé l'estomac.